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« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
27 octobre 2022

Le mythe de la belle-mère

Ils ont 90 ans bien tassés. Lui court encore comme un lapin (sur des cannes plus récentes mais pas d'origine celles-là. En bois nacré même qu'elles sont) De fait c'est lui qui, la précédant, me rencontre ; les bras chargés de fleurs. C'est la fête des mères, alors il faut changer les fleurs. Elle les a nettoyé la semaine passée. Elle a pioché avec soin, et avec l'expertise des années, dans sa collection méticuleusement rangée au garage.

Ses bras sont tellement chargés, qu'il peste en souriant. On entend sa femme qui arrive, clopinant, et qui lui dit de faire attention, de les déposer, ...qu'elle arrive oui, oui. Et qu'elle va s'occuper de les arranger.

Elle a ses rituels et ses fleurs pour chaque occasion. La tombe est belle et entretenue. Ils l'avaient achetée pour leur "retraite de retraite', mais belle-maman les a devancé. Partageurs, ils l'y ont accueilli.

On parle de leurs vieux jours. Ceux à venir, qu'il voit encore nombreux. Pas pressé qu'il est, pas plus que son épouse. Ses jambes à elle, trahissent peut-être son âge, mais le moral et la vie sont encore là. "Et pour longtemps que j'vous dis !"

"Faudra nous laisser des instructions dites, pour les fleurs. Y'a un thème couleur non ? Pour chaque occasion ? Et vous, c'est quoi vos couleurs à vous ?"

Il se marre, en nous souhaitant de ne pas avoir à subir les rituels de sa femme.

"Oh, et puis vous savez, de toutes façons, moi... J'irais pas là-dedans hein !"

Ah ? Je m'interroge et lui demande ses plans.

 

"Tout sauf finir avec cette vieille carne !"

 

Son rire se répand dans mes allées en voyant mon regard interloqué tentant de ne pas glisser vers sa femme.

"Ah non. Celle-là, je l'emmène." "La belle-mère par contre, elle m'a déjà assez fait suer comme ça de mon vivant !"

Du coup, pendant que Madame arrangeait ses fleurs, on a papoté sous son oreille attentive, des divers emplacements possibles. Son esprit galope, lui aussi comme un lapin.  Et il sourit sans discontinuer. La mort n'est rien quand on sait faire face à sa vie avec un tel sourire.

Quelques semaines plus tard donc, je les attends dans mon bureau. On va choisir ensemble un emplacement ensoleillé. A eux.

 

"Avec chauffage central et la télé si vous avez"

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