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« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
22 avril 2020

Mme Reine

Elle n'aura jamais su trouver la paix. Et on la lui refuse encore aujourd'hui.
Depuis cette perte tragique, attendue mais non moins brutale. Un enfant emporté par la maladie. Ces départs dont on ne se remet jamais vraiment.

Le couple avait acquis et aménagé un caveau où aller, le moment venu, retrouver leur enfant chéri.
J'en vois beaucoup de ces couples ; et encore une fois, ce sont des départs dont on ne se remet jamais vraiment.
Une séparation suivie d'une autre, et la maladie qui s'en mêle à nouveau. Des années après, elle a eu de nouveau à gérer l'ouverture de ce maudit trou pour un autre. Un autre qu'elle avait aimé, bien que l'amour avait fui lui aussi.

Il ne restait à ce caveau alors plus qu'une seule place. Elle a passé des années, partagée, à se battre pour garder la tête hors de l'eau. Revenant chaque fois abattue de ses visites à son enfant au cimetière "A quoi bon continuer et sourire si ce n'est pour éprouver chaque jour un peu plus son absence ?"
Elle en a fait une compagne de tous les jours, trouvant finalemet avec elle la force d'avancer. Chaque jour d'abord, puis chaque semaine. Elle venait fleurir l'absence et redonner un peu de vie à cet espace plein de morts.

Des gerbes de fleurs, des couronnes...un amoncellement nouveau lui a appris un beau matin l'arrivée toute récente d'un nouveau défunt. Son enfant, le père de celui-ci et, ... ?
Elle a cru mourir une seconde fois. Vivant même après alors, cet éternel cauchemar. Célèbrant la disparition d'un enfant des bras de sa mère. Farce de mauvais goût d'un dieu qui s'ennuit ? Purgatoire cruel ? Punition d'avoir trop tardé ?...

Non, "simple blague de la vie". Cette dernière place qu'elle lui croyait être réservée a été octroyée à un autre membre de la famille.
    [entre mensonges, erreurs de part et d'autre des différents professionnels et intervenants, je ne saurais me permettre d'en dire plus. Il y a des lois avec lesquelles je n'arrive pas encore à jouer]

Il y a eu des avocats, des échanges que l'on qualifierait de sourds plutôt que de singes, et au final, aucune solution de trouvé avant que n'éclate une nouvelle bulle dans sa vie déjà tant saccagée. La maladie. Une fois de plus. Comme un fardeau que l'on se passe de mains en mains, jusqu'aux siennes "enfin". Plus la force, plus les finances, elle préfère oublier. Voilà l'affreuse conséquence de cette bulle de présent qui lui hurle, bien que vivante encore, que jamais elle n'aura sa place, en paix, auprès de son enfant.

 ...

Je n'ai jamais été autant soulagée que ce jour, d'avoir à préparer autant de papiers, réunis autour d'une défunte que j'avais appris de loin en loin à connaître avant ça. Et pour qui je souffrais un peu en silence parfois. De me sentir si peu utile, si faible devant ses questions, si petite devant ses détresses.

Ça a commencé comme un mauvais film, un truc estampillé "mal fini mais on fera avec hein"
Il y a quelques années elle avait demandé, si elle renouvelait "sa" concessoin...est ce qu'elle aurait quand même le droit d'être inhumée auprès de sa fille ? "Je sais l'absence de place restante, mais si vraiment il le fallait...si j'envisageais alors ...une crémation ? Mes cendres auraient-elles le droit ? Sauront-elles trouver la place ?..."

   [spoiler : la réponse est oui. Quelque soit la place restante dans une concession, si tu as légalement le droit ou l'autorisation d'y être inhumée, ton urne  y trouvera toujours un espace. C'est pas pour la place que ça prend hein]

Et puis là, auourd'hui, son compagnon qui nous dit que non. Elle sera pas incinérée. C'est comme ça, y'a pas à tortiller (de toutes façons on ne tortille jamais avec mes familles. On se dit les choses, et ensemble on avance vers les solutions)
Ok, donc. Il nous reste quoi comme solution justement ?
Y'a plus de place, on l'a déjà dit, ici.
Une autre concession alors ? À elle, rien qu'à elle ? Pour qu'elle ait enfin la paix après laquelle elle courait sans souflfle depuis presque 30 ans ? Une concession individuelle.
Oui mais sans on enfant alors ? Ce n'est pas cette paix à laquelle elle aspirait non.
On remet sur le tapis cette dernière inhumation dans le caveau de cet enfant. On crie de nouveau à l'injustice. Mais ce corps appartient à une autre famille qui ne veut pas l'en déloger. Et cette famille est dans son droit à la paix à elle aussi. Ils parlementent entre eux, avec cette famille que nous n'arrivions nous mêmes pas à contacter depuis toutes ces années, refusant nos courriers, raccrochant à nos appels... le temps aurait apporté un semblant d'apaisement ? Les seules voi(e)x que l'on peut faire entendre de notre côté à nous, mairie, sont celles de la loi. On soutient comme on peut, chacune des deux familles et l'on parvient enfin à un accord, fait de bidouilles adminisratives et d'exhumations.
L'enfant et la mère rejoindront un nouveau caveau, cependant que le 2nd enfant de madame fera "dont" de l'ancien à la deuxième famille.
On multiplie en quelques heures la paperasse, procédons à la reprise administrative de l'ancien caveau, exhumant tout le monde, sur le papier, pour offrir l'ancien caveau à la vente à la seconde famille. Ce qui importe le plus au final, ce n'est pas tant comment, mais que l'on ait pu le faire.

En cette fin d'après-midi, les Pompes Funèbres de la ville s'apprêtent à quitter mon bureau. Un dernier regard en arrière avant de sortir :
"Merci. Pour eux et pour nous. D'être réactifs et présents .Et professionnels. Et...bref, merci." On a laissé passer un silence et d'un hochement de tête, émus de concert, on s'est dit qu'enfin, elle l'avait obtenu, sa paix.
Elle l'aura peut-être pas vu de son vivant, mais punaise, on a réussi. Pour elle.

Un dossier de plus de 10 ans, arrivé dans mon bureau  quelques mois seulement avant moi, cependant qu'elle découvrait comment sa place en paix lui avait été volée. Je le referme quelques mois seulement avant de quitter ce bureau. Une boule au ventre mais un énorme soulagement d'avoir pu être là et d'avoir aidé à réparer cette faille qui avait été creusée dans le coeur de cette femme.

En éteignant la lumière du bureau ce soir là, ont résonné pour la première vraie fois, un "repose en paix", sincère et délicat.

 

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