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« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
20 octobre 2022

Les solitudes

« Je ne veux pas payer pour sa tombe. Vous savez, je me suis renseigné, et j‘ai le droit. Elle a le droit hein. Me suis renseigné je vous dis, on me l’a dit. »


Elle a le droit oui, d’être inhumée en terrain qui ne coûte rien.

Ce n’est pas une question de finances, il le dit bien, le répète.

Elle y a droit.

Et elle aura de belles obsèques, et un cerceuil comme un cocon. Un château pour un papillon. Pour sa Libellule.

 

Ils sont pas bien vieux, le genre de choses qui arrivent, que t'expliques pas. Ils sont tombés amoureux comme elle l'a quitté. Sur un coup de foudre qui dure toute une vie. Ou une éternité. Arrivé sans crier gare ; qui les a surpris tous les deux et stoppés net dans leurs élans respectifs.

Elle est morte sans prévenir.

 

Mais il est bien entouré. Et tous ces gens autour de lui, dans la vie active et férus de saines lectures, ils se sont renseignés.

Et, Ahah !... Pas question de se faire avoir par le "bizness" de la mort.

/ Marronier de Toussaint, fort récréatif bien qu'un brin horripilant par le nombre d'inexactitudes et de clichés gros comme la flemme des journalistes, qu'il bazarde chaque année... ze bizness of la mort et tous ces méchants qui se font plein d'argent sur le dos de nos peines et de aimants /

Pas question vous dis-je !

 

Il compulse donc les devis que quelques rares entreprises locales ont daignées nous déposer comme l'exige la loi *

Il se contente de ce qu'il a sous les yeux, il est un peu perdu. Et ses yeux à ce moment là, n'aspirent qu'au chagrin. Les amis sont là, qui combattent, qui harassent et exigent le reste des devis ; ceux que l'on n'a pas.

J'explique.

Nous n'en avons pas plus.

Et lui, lui il dit qu'ils étaient très bien les gens des Pompes Funèbres de ce matin. Ceux qui l'ont emmenée, sa Libellule, à la maison là...funé-je-sais-pas-quoi. Ils étaient gentils non ?

Son chagrin à lui il ne demande pas grand chose de plus, là, à ce moment là. Maintenant.

Il soupire un peu. Il sait qu'il ne devrait pas ; qu'il veut que ce soit beau, au moins autant qu'elle l'était. Mais qu'il ne faut pas qu'il se laisse avoir par le "Bizness". Ils les laissent disserter et choisir. Il se raccroche à ce qu'il peut. Dans ce bureau là, on lui a dit d'exiger...il ne sait plus quoi, il ne sait...n'est même pas sûr de savoir où on est. Alors il les laisse dire et décider, se contentant d'un "oui,oui" parfois.

"Nous parlions du terrain Monsieur. Vous voulez que je vous explique ? J'ai tout mon temps. Il est à vous, usez le" Je m'adresse à lui, à celui qui en cet instant devrait être le centre d'un monde de bienveillance et d'écoute.

"Non non, je sais...Je veux...on m'a dit qu'elle pouvait être enterrée ici. Qu'elle habitait la Ville alors que vous n'aviez pas le droit de m'obliger à payer l'emplacement !"

Ce n'est pas mon intention. Jamais. Une bonne part de mon métier à moi, tel que je le conçois, c'est de faire se concilier le législatif et l'humain. Et de faire en sorte que tout soit le plus clair possible pour ladite part humaine.

 

Ses amis m'arrêtent à peine j'explique les conditions du terrain gratuit. Je parviens à placer "individuel", et "durée de 5 ans"...mais rien n'y fait. Il est fatigué, il a fait son choix. Je l'espère en toute connaissance de cause. Même si au fond de moi, je la connais cette douleur. Je ne suis pas là pour décider à sa place, je ne suis pas là pour forcer. Mon rôle à moi c'est juste d'accompagner. Rôle que me refuse la barrière bienveillante d'amis qui l'entoure et le protège.

Je lui note les indications : l'emplacement et les informations à communiquer aux Pompe Funèbres. Et dans un coin du papier, mes coordonnée et mon nom. "Si jamais vous aviez besoin, si il vous restait la moindre question"

C'est tout ce que j'ai pu faire.

 

Cinq mois plus tard, rongé de questions et de regrets, on a été sur place ensemble. Chercher un terrain à elle, à eux. Il n'est pas pressé, il est toujours aussi triste. Mais il voudrait faire les choses lui-même en fait.

Il a compris qu'elle resterait 5 ans seule, avant de rejoindre la foule des autres à l'ossuaire.

C'est trop rapide, trop de solitude puis d'anonymat. Ses mais l'ont lâché peu à peu, à mesure que leurs quotidiens à eux enterraient le sien. Il n'y a plus personne pour penser à sa place, pensant panser des plaies à peine ouvertes.

 

Elle est aujourd'hui au pied d'un arbre, pour une quasie éternité dans laquelle il pourra la rejoindre. Il a cessé de pleurer la peine de sa solitude à elle, il va pouvoir commencer à vivre à nouveau.

 

 

 

 

*devis (loi) : Chaque entreprise doit déposer en Mairie un "devis modèle", présentant dans un ordre établi légalement, les tarifs de différentes préstations, obligatoires comme faclultatives .Ces devis-types doivent être tenus à la disposition des familles.

Les Mairies concernées sont celles dans lequelles l'entreprise a son siège siège social ou tout autre établissement secondaire, ainsi que toutes celles du même département, de plus de 5.000 habitants. Autant dire que cela peut faire du monde.

Ces devis sont à renouveler/mettre à jour chaque année. Tout comme les habilitations funéraires de chaque établissements (en gros le type de services que peut proposer l'entreprise : funérarium, conseil, vente, transport funéraire, etc...) La liste de ces habilitation est consultable par internet pour la plupart des départements ( exemple ici pour la Préfecture du Rhône ) Pourquoi n'en est-il pas fait d emême pour les devis types ? Mystères...

De fait, nous conernant, très peu d'entreprises du département ont joué le jeu et nous ont fourni leurs devis. Je doute de pouvoir trouver le temps un jour de leur courrir toutes après. L'UFC-QueChoisir avait fait une enquète un an après la mise en place de cette règlementation (consultable ici ) Force est de constater, des années encore après que la situation n'a guère évoluée, un beau coup d'épée dans le néant en somme.

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