Le coeur d'une mère

Elle a l'âge de ma mère. Et elle porte le monde comme une misère écrasante aujourd'hui.

Elle devait être belle dans sa rayonnance. Elle n'est plus que l'ombre d'une ombre défunte.

Elle a l'âge de ma mère, et son fils le mien. Un adulte qui n'en reste pas moins l'enfant de quelqu'un. Un quelqu'un qui pourrait être ma mère à moi.

Je suis impuissante face à ses larmes. J'aurais jamais assez de bras dans toutes les étoiles de mes yeux, ni de mouchoirs dans mes tiroirs, pour contenir toute la peine qui l'accable. Alors qu'elle est là, dans ce stupide petit bureau. A essayer de rassembler ce qu'elle peut, de forces et de courage. Pour planifier ce qui ne devrait jamais exister, ce qu'on ne devrait jamais avoir à demander ...
"C'est comment qu'on enterre son enfant ?"

Il a beau être déjà grand, autonome et adulte. Il a beau avoir déjà, délaissé ses bras pour d'autres maintes fois. Il n'en reste pas moins le fils d'une maman.
J'aime mon métier, ça oui je l'aime. Dans ce qu'il me raconte de l'humain et m'apporte d'humanité. Chaque fois que je me sens utile, chaque fois qu'il me laisse entrevoir le peu de soulagement ou de soutien que j'ai su donner dans ma journée. Je ne me suis jamais sentie aussi inutile que ce jour, à ne pas savoir quoi répondre à cette question.
"C'est comment qu'on enterre son enfant ?"

Elle tente d'explorer toutes les possibilités. Elle compte aussi, ce que l'épargne peut bien lui avoir laissé. On n'imagine jamais ce que cela peut bien coûter. Elle se concentre cinq minutes sur le coin d'un papier. Et puis la réalité revient la submerger. Depuis tout à l'heure, on ne parle que de "l'enterrer."
"C'est si froid la terre vous comprenez"

Je comprends... J'écoute, je soupèse chaque mot, chaque larme. Tous et toutes ont leur importance.
Et je comprends.

On reparle de la crémation.
"Il était parti vivre au soleil. Il avait besoin de la chaleur qu'il disait."
Et son visage s'illumine entre deux nuages. Elle me redemande les photos de ce truc là, pour les cendres, les urnes... le columbarium oui c'est ça.
"Il avait tout le temps froid. C'est si froid la terre"

Elle a quitté mon bureau, les larmes un peu colorées de soleil. Y'a pas de vraie réponse à comment on enterre son enfant. On fait comme on a toujours fait. On l'accompagne et on s'assure qu'il n'attrape pas froid.