Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
20 novembre 2019

Fermer les yeux

Il y a des jours parfois, où passant proche d'ouvriers, on discute un peu, on jette un oeil au fond du trou. On admire l'ouvrage ou la force déployée, on papote au-dessus des morts, leur offrant quelques minutes de grand air en plus avant de refermer caveaux et monuments, les réparations ou préparations ayant pris fin.

Ce jour là, on prépare l'inhumation de demain. Quelques années après son père, voilà que le fils vient inhumer sa mère.
Quelques heures auparavant, le collègue des pompes funèbres a appelé votre serviteur, une colle en poche et le ton bien ennuyé, de celui qui va poser une question dont malheureusement il connaît déjà la réponse légale.
La mère est apprêtée et close en son cercueil. Tout est prêt pour le petit matin triste du lendemain. Mais le fils a réalisé soudain, que le fidèle labrador de papa repose toujours dans son urne, sur l'étagère de la maison, bientôt vidée et laissée à l'abandon. Plus qu'un côté pratique, ne pas savoir que faire d'un bibelot douteux, c'est la question de ladite fidélité qui se pose. On plonge parfois, aux premiers moments du deuil, dans de douloureuses qestions symboliques. Et le fils ce jour là, est rongé par l'abandon du chien de la famille, qui n'avait jusque là jamais quitté ses parents.

La loi, bien stricte, est là. Un cimetière, monsieur, ça n'est pas fait pour les chiens. Aussi bien vivants, que morts, ils n'ont pas leur place ici. Là-bas peut-être, dans le cimetière qui leur est alloué, loin de leurs maîtres, tous réunis comme dans un immense chenil souterrain, au-dessus duquel fleurissent des stèles où s'ébattent pour la dernière fois, vieux chats et fidèles compagnons, figés dans la pierre. Loin, de leurs maîtres.

On s'accroche à des symboles, c'est une façon de ne pas tout à fait dire au-revoir. Dans les souhaits de nos défunts que l'on s'attache à respecter, on poursuit sa volonté, on rend vivante encore un peu plus longtemps sa pensée. Et nous voilà donc face au dilemne d'une fidélité que l'on va saccager.
Je ne peux pas autoriser un détournement de la loi. Je ne peux légalement pas approuver la présence de ce chien dans le caveau de famille, où moralement pourtant, il a toute sa place.
Même si les pompes funèbres ne nous en parlent pas, tout du moins pas dans nos bureaux, en face à face avec le fonctionnaire et non l'humain, elles glissent parfois dans les cercueils, au milieu de souvenirs divers, d'étranges petites boîtes aux noms canins. L'urne du chien repose, sans danger, dans le cercueil de son maître qui sera fermé, bien à l'abris du regard des fonctionnaires du cimetière.

Ce jour là le cercueil est déjà clos. Scellé. Déjà fermé au moment où la pensée du fils s'ouvre enfin. À force de le turlupiner, cette fidélité a fait son chemin et ne lui laisse plus de répit. À la veille du triste matin, il a déposé à l'ouvrier le lourd fardeau que pesaient ces quelques grammes dans une question bien pesante : "Pourriez-vous faire quelque chose ?"...
J'ai laissé à l'ouvrier la question ouverte. Ensemble on a répété la loi. Puis je suis parti. J'ai posé mes yeux sur d'autres tombes, d'autres histoires. J'en ai éprouvé les fidélités. Ce que je ne sais pas n'existe peut-être pas. Mon humain a fermé les yeux de son fonctionnaire.

Publicité
Publicité
Commentaires
« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité