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« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
14 octobre 2014

La solitude de Monsieur V.

Monsieur V.

 

 

Il était discret, connu dans la ville sans en être le pacha non plus.

Il était seul mais on savait que ça n'avait pas toujours été le cas. Du moins se le disait-on. On savait pas vraiment en même temps. Et pis lui il disait rien.

On l'a vu maigrir à vue d'oeil. Arpenter les rues de plus en plus en peine, de plus en plus fatigué.

Il était pas bien vieux.

Il gérait ses affaires, on pensait. Il était presque propre sur lui, on lui avait même deviné un temps, une hypothétique "copine", on savait pas trop, en même temps c'était juste "un gens de plus" qu'on croisait dans la rue. Visage connu sans trop l'être. Mais chez nous c'est pas bien grand, alors on se connaît tous même si en vrai,…bref.

Mais peu à peu oui, sans vraiment le voir, sans vraiment se le dire, on l'a tous vu dépérir pour un jour ne plus le voir finalement.

 

On ne connaissait pas son nom, alors forcément, le jour où on a eu une transcription de décès, au nom de Monsieur V., décédé à l'hôpital de la ville voisine, on a pas fait le lien. Et quand bien même, il avait bien le droit de mourir où bon lui semblait ce bonhomme. Sa famille allait gérer, comme c'est presque toujours le cas, la question pas évidente de sa demeure finale et de tout ce qui en découle. On fait pas du social pour tous les morts nan plus, on fait notre taff et puis voilà tout.

 

 

Ouhe mais quand même…y'a des noms comme ça, à force de compulser mes fiches, à force de vagabonder dans ses allées à mon cimetière, y'a des noms oui, qui déclenchent un ptit quelque chose.

Vérification faite, le papa de Monsieur V., il est enterré chez nous. Et sa tombe a été refaite à neuf il y a peu, à la demande de Monsieur V. qui en prenait soin et la fleurissait régulièrement. Il avait même fait vérifier, le marbrier de la ville s'en souvient, qu'auprès de son père gisant, restait bien une place, la sienne.

Je ne cours pas après les morts, je ne suis pas la personne qui décide. Par contre j'aime bien qu'on respecte leurs volontés. Un minimum, j'veux dire quoi merde !

Qu'est ce qui avait fait, que mon Monsieur V. ne soit finalement pas enterré auprès de son père ?

 

Il est arrivé à l'hôpital un matin, déposé par les pompiers qu'il avait appelés.

Il avait encore toute sa tête, bien que remplie de peine. Aux infirmiers lui demandant qui prévenir, il a répondu dans un souffle qu'il n'avait personne.

Il est mort peu de temps après, le cancer qui avait rongé sa graisse, a finit par avoir raison de sa carcasse toute entière et de sa volonté fébrile à ne rien dire, ne rien laisser derrière lui. Il a laissé un corps dépouillé de tout, quelques vêtements, un trousseau de clé et un portefeuille maigre dans lequel vieillissant la photo d'un couple avec un jeune enfant.

L'hôpital a tout rangé, et sans contacts familiaux, monsieur V. avait bien dit être seul, tout seul, … les affaires ont finit dans un sachet blanc quelque part entre 2 dossiers de patients. La police a pris le relais, sans trop de conviction, visité l'appartement qui ne vivait plus depuis bien longtemps, figé dans un tas de déchets poussiéreux, monsieur V. était mort socialement depuis bien longtemps et son appartement nous reflétait toute la tristesse d'une vie qui peinait à s'éteindre. Rien, juste quelques photos, mais rien, pas de papiers, pas de courriers. Rien que du rien bien caché.

 

Ayant croisé cette tombe, qui l'attendait sagement, entretenue avec tant de soins qu'elle vibrait de vie et d'amour contrairement au lieu de vie de feu monsieur V. et faisant le lien avec cette transcription de décès, j'appelais la mairie de l'hôpital pour apprendre comment monsieur V., en 2 jours de temps, avait été enterré en terrain gratuit comme il est légalement acquis pour ces personnes qui meurent chez nous, sans moyens et sans famille manifeste. Cela faisait déjà 3 mois. Hasard du destin : la police venait d'appeler cette mairie ayant retrouvé une famille.

 

Ils habitaient la même ville, pas le même quartier. Et voilà des années qu'ils ne se croisaient plus, ne se parlaient plus. Monsieur V. avait fait le choix de vivre son cancer sans peser sur les épaules de son fils et sa famille. À la douleur de l'incompréhension s'ajoutait maintenant celle du sentiment qu'un père avait été enterré seul. 

Avec l'aide de la police et de l'hôpital, nous avons assemblé les pièces et aidé à guérir quelques brisures. La photo du portefeuille et la fierté de l'homme malade ont été remises au fils, qui a fait le choix d'emprunter ce chemin avec son père, plutôt que contre lui. Il a soigné l'absence et pris la main fantôme d'un père trop discret et trop fier. 

 

Monsieur V. a aujourd'hui un nom pour nous de sa ville, autres "gens de plus", et un repos mérité, confortablement installé auprès de son père à lui. Nous avons procédé au transfert, à la demande de son fils, et les fleurs continuent de couvrir la tombe de 2 pères.

 

Ce n'est pas mon boulot de courir après les morts.

J'estime cependant que ce que je sais, doit être utilisé pour chacun, mort ou vivant, et apporter à tous ces chacuns, le maximum de réconfort que je puisse

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