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« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
5 décembre 2019

Elle l'attend pour partir

64 ans de mariage. Elle l'attend pour "partir".
Alors il flâne dans mon bureau et me raconte leur vie. Il reste ici avec moi, pour pas qu'elle, elle parte.
Il est resté plus d'une heure. C'est long dans une vie, une heure, quand on en a plus beaucoup. Lui, il en avait encore plein, de ces heures là. Mais pas elle. Du moins pour ce qu'on en savait. Parce qu'on ne connaît jamais vraiment l'heure d'une mort, fusse-t-elle attendue.
"Elle m'attend, je le sais. Elle m'a dit qu'elle partirait pas sans moi, sans me dire au revoir, me serrer une dernière fois dans les bras de ses yeux. Elle me l'a dit vous savez. En 64 ans elle m'a jamais menti"
Il se raccroche à ses mots ; il se raccroche à son absence. Espérant la garder près de lui un peu plus longtemps... en n'étant pas auprès d'elle. Ce paradoxe le ratatine, l'étouffe à petit feu. Il se raccroche à un espoir, tout en sachant qu'elle aura beau l'attendre, elles ne sont pas éternelles. Ni elle, ni cette attente.
Il tourne en rond autour des souvenirs et fait quelques détours parfois sur l'après et les démarches à faire, à prévoir. Des détours sur la pointe des pieds, le regard fuyant vers l'absence de sa toujours présence à elle. Il tortille son chapeau entre ses doigts. Retient une larme, un sanglot et se remet à me parler de leurs vies d'enfants et d'ados, de leur vie d'époux et d'heureux. On en revient aux démarches, je lui écrit tout, lui redonne mon numéro de ligne directe.
"J'ai peur de ne pas me souvenir, de pas savoir relire. Vous me répondrez hein ? Vous m'aiderez ?" Je serais là oui. Si ce n'est moi, mes collègues seront là et feront tout aussi bien. Mais je serais là. Si il y a besoin de quoique ce soit.
Plus il tarde, plus il s'accroche à cet espoir. Le temps d'une errance dans mon bureau, il a tissé son anneau de Moebius. Il ne sait rien. Il sait juste,... qu'elle attend.

3 jours plus tard, j'étais pas là pour le serrer dans les bras de mes yeux. J'étais pas là pour lui rendre toute la lumière qu'il avait mis dans mon bureau en faisant danser leur vie sur le bout de ses doigts agités. J'ai accompagné comme j'ai pu, depuis mon téléphone, depuis une autre ville. Pour aider à réparer les âneries d'autres "professionnels" qui savaient pas alors ; qu'il avait juste besoin qu'on lui dise qu'elle n'avait plus besoin elle de l'attendre .Et qu'il avait fait ce qu'il devait faire. Être là.
Elle l'avait attendu. Jusqu'à ce qu'il s'endorme. Le reste appartenait à la paperasse et aux pompes funèbres.
Il revient parfois dans mon bureau. Ça aura pris quelques temps avant qu'il ne revienne, qu'il ne quitte la maison où elle l'attendait. Mais depuis il revient, à petits intervalles, faire danser ses doigts sur son chapeau. Il me raconte leur vie, "elle a jamais menti vous savez" Alors moi maintenant, je l'attend. Et il me rappelle la vie.

https://twitter.com/mynamesbabs/status/1097785075691864064?s=20

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