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« Toute une vie pour en arriver là » Chroniques funéraires
31 janvier 2014

A demain Albert !

Elle est là chaque jour, fait 3 fois le tour du cimetière avant de venir s'arrêter sur sa tombe. Ce n'est pas comme si elle le cherchait, elle l'a enterré ici-même, il y a quelques mois de ça. Et depuis n'a de cesse de venir. Elle connaît l'emplacement exact, la position de chaque fleurs sur les tombes alentours, que parfois même elle replace, par politesse, par gentillesse. Par respect. Et par habitude aussi. Elle connaît par coeur la pierre qu'elle a choisit et qu'elle caresse chaque jour, discrètement tant que quelqu'un peut la voir, puis plus amoureusement dès qu'elle se sait seule ou qu'enfin le coeur se lâche.

Elle tourne autour des allées, toujours le même cheminement qu'elle pense sans doutes pourtant différent. Elle approche comme si elle venait là pour la première fois, comme si elle n'avaient pas leur place là. Ni elle, ni ses larmes.

Elle se sent encore fautive. Mal à l'aise. Pas à sa place non.

Parce que sa place, malgré tout ce qui l'attache aux vivants encore, ses enfants, ses petits enfants, ses amis qui viennent la voir, ces inconnus qu'elle croise et à qui elle sourit… malgré toutes ces attaches, sa place elle est avec lui. Déjà prête même, jusqu'à son propre nom à elle, gravé sur la pierre, à côté de celui d'Albert, à côté de son mari, là où a toujours été sa place.

Ça fait mal de la savoir là, sa place. Ça fait encore plus mal de savoir pourquoi. Parce que lui y est déjà, il est là le pourquoi.

Mais surtout ça fait mal de ne pas avoir le droit de le dire.

Parce qu'on n'a pas le droit, non, de se laisser aller, … Allons va !

Sortie du cimetière, elle s'occupe de son appartement, y met des fleurs ici aussi. Pas les mêmes. Mais des fleurs quand même.

Sortie du cimetière, elle aide les enfants des autres, se trouve une occupation le soir en surveillant les leçons de jeunes coeurs en mal d'apprendre, et de vie.

Elle garde ses petits enfants aussi, échange des recettes avec sa fille et avec le gardien du cimetière qui a toujours un mot doux au fond de sa poche, à côté du mouchoir qu'il lui tend parfois. Parce que les mois ont beau passé, les larmes elle ne s'y fait pas. Elle devrait savoir qu'elles vont arriver. Mais rien à faire, jamais un foutu mouchoir pour ça. Comme si elle leur disait que non, elles ne viendront pas puisque rien dans sa poche à elle n'est prévu pour les accueillir.

Parce qu'on n'a pas le droit, non, de se laisser aller, ça non, il ne faut plus pleurer.

Sortie du cimetière elle vit.

Passé ses grilles c'est lui qui vit.

En général elle est discrète, elle fait son chemin puis son brin de ménage. Lui raconte discrètement un peu de ses journées, à l'Albert qui écoute bien sagement. Elle ronchonne parfois et bien souvent, elle engueule Dieu. Et même Albert. Goujat d'homme qui tantôt est le pire des lâches que d'être parti avant elle pour ne pas avoir à souffrir ce qu'elle endure, et tantôt est cet amour immortel et attentionné, tant et tant qu'il est parti devant, réchauffer la place et veiller à ce que tout soit parfait pour quand elle viendra à son tour.

Goujat d'homme qui jamais jusqu'ici ne l'avait faite pleurer.

Elle reste assez tard, le plus tard, jusque presque la fermeture, jusque presque la nuit, pour être seule, sûre d'être seule. Et repartir en continuant de lui parler tout au long des allées.

Elle arrive en cheminant longuement, mais repart tout droit, ne se retournant pas. Emportant les fleurs fanées et la poussière sur ses genoux, elle ne se retourne pas mais lui parle, sans cesser, jusqu'au portail.

Un dernier pas et c'est la rue, un dernier pas et la vie recommence, sans lui. Un dernier pas et chaque soir, les mêmes mots, qu'elle laisse aller

"À demain Albert"

Dans les pires choses que l'on puisse dire à une personne en deuil, et cela qu'importe le moment, le délai, la relation… il y a ces quelques mots "ça va aller, ça va passer".

ailleurs sur le net : http://www.calebwilde.com/2013/12/11-worst-and-best-things-to-say-at-a-funeral-3/

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Commentaires
G
c'est triste, mais que c'est beau!
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